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Le sens philosophique le plus courant du terme "intuition", avec des variantes éventuellement importantes selon le contexte philosophique, par exemple chez Descartes ou chez Kant, est l'existence d'une connaissance immédiate, qui n'est pas la résultat d'une connaissance intérieure. Or, en cela fidèle à la formule hégélienne selon laquelle l'immédiat est toujours déjà médiatisé, Peirce nie la possibilité même d'un donné quelconque qui ne soit pas résultat du passé de la connaissance. C'est qu'il y a une illusion de l'intuition. : " il est clair que c'est une chose d'avoir une intuition, et que c'en est une autre de savoir intuitivement que c'est une intuition. " Le prétendu pouvoir intuitif de reconnaître qu'une connaissance n'est pas le produit d'une connaissance antérieure est tout à fait illusoire. Il n'y a au fond guère de différence entre considérer comme absolue la crédibilité d'une autorité et considérer une intuition comme un donné irréfutable. " Tout avocat sait combien il est difficile pour les témoins
de distinguer entre ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont inféré. " Berkeley a ainsi montré comment la perception de la troisième dimension de l'espace est une inférence, et non une donnée des sens. Vouloir absolument remonter à un premier terme est peut-être un besoin psychologique, notamment par
peur de la "régression à l'infini", mais relève néanmoins d'une illusion rétroactive.
Ainsi la pensée n'a ni commencement ni fin assignables : en
deçà, même s'il en va du devenir que cela finisse par nous échapper, il y a toujours déjà eu nécessairement quelque chose ; au delà l'essence du sens est
d'être appel vers son sens futur, par la poursuite inéluctable des interprétations.
Il n'existe de pensée qu'à travers des signes. Mais, à la différence du dualisme usuel en la
matière (par exemple opposant signifiant et signifié), Peirce analyse le fonctionnement du signe de manière tripolaire. Pour qu'il y ait signification,
il faut bien qu'il y ait un signe matériel dénotant un objet de pensée, mais cela ne fonctionne que parce qu'il y a un troisième terme, qu'on a tendance à occulter : l'interprétant, qui est celui qui établit une représentation mentale de la relation entre le signe et l'objet. Le signe, possibilité même de signifier, est premier, l'objet, c'est à dire ce dont on parle, est second, mais il ne faut pas oublier le troisième terme, qui effectue la relation de signification, l'interprétant.
Une grande originalité de Peirce est de considérer que l'interprétant peut, à son tour, être considéré comme un signe susceptible d'être à nouveau interprété, et ainsi indéfiniment. Le mot "chien" est un signe, l'objet est ce qui est désigné par ce mot, et le
premier "interprétant" est la définition que nous partageons de ce mot. Ce premier degré est ce que Peirce nomme le fondement du signe. A partir de là, je peux me représenter un chien particulier, vous en parler, devenant alors pour vous à mon tour un signe, amorçant en votre esprit d'autres interprétations, qui à leur tour en amorceront d'autres : le processus de signification est sans fin.
La logique : revalorisation de l'abductionL'opposition entre rationalisme et empirisme est souvent rabattue sur l'opposition entre deux types d'inférences : la déduction et l'induction. La déduction est le raisonnement logique et, sauf erreur, indiscutable, par lequel on déduit une conclusion certaine de prémisses supposées vraies. C'est la méthode "officielle" du mathématicien. L'induction, sorte d'inférence statistique, déduit que, puisqu'on a jusqu'ici toujours obtenu tel résultat, on peut considérer que c'est une loi, ce qui repose sur une sorte de passage à la limite qui en soi ne prouve rien, et qui suscitera notamment, après Hume, la réflexion de Kant et l'amènera à poser la notion de transcendantal. | Toute image est construiteOn sait depuis Berkeley ("Sur la vision") que la perception d'une troisième dimension de l'espace, disons la profondeur, n'est pas du tout une intuition immédiate, mais une déduction de l'esprit. |
Tenir pour vérité ce qui plaît à l'esprit : telle est la genèse traditionnelle des conceptions métaphysiques. Peirce n'accorde évidemment aucune valeur de vérité à ces inventions agréables (ou non), qui prétendent décrire le monde indépendamment de toute expérience. Mais cela n'exclut aucunement la préoccupation métaphysique. On peut légitimement enquêter sur la possibilité même de toute réalité. Trois niveaux d'interrogation se dégagent alors : la question de la possibilité même de toute réalité (priméité), celle de son existence effective (sécondéité), celle de la règle qui la gouverne (tiercéité). Toute existence peut être décrite à la fois comme action et comme réaction. Mais cette description reste insuffisante si elle ne s'interroge pas en deçà sur sa possibilité formelle et au delà sur son insertion dans une série à laquelle il appartient. Ainsi cette montre-ci n'existe d'une part qu'à partir du principe de la mesure de la durée, d'autre part comme exemplaire particulier des montres en général.
Peirce reste par ailleurs sous l'influence de Darwin, avec une conception évolutionniste du monde. L'expérience mène à considérer l'univers comme un vaste continuum, où les séparations ne sont que des abstractions temporaires. Il y a une réalité du hasard, qui se reflète dans l'utilisation des probabilités en science. Il nomme tychisme cette conception de l'univers comme processus indéterminé, bien que régi par des lois.
T.P.I. sur voir sans avoir vu (la tache aveugle).
Le site de l'édition des œuvres de Peirce (en anglais).
Un extrait sur l'espace et la durée
L'édition des œuvres de Peirce en français aux éditions du Cerf (Claudine Tiercelin et Pierre Thibaud).
Claudine Tiercelin, C.S. Peirce et le pragmatisme, PUF
Charles Sanders Peirce, Le raisonnement et la logique des choses, PUF (un peu difficile, mais accompagné d'une longue introduction
biographique et philosophique).
Par l'auteur de cette page, quelques textes un peu moins éducatifs, et qui néanmoins valent le détour : recueils de nouvelles. | |
Quelques nouvelles divertissantes, à commander en ligne... |