option
 musique

nicoladec.fr

Friedrich Nietzsche

allemand
1844, 1900
première lecture conseillée : "Par delà le bien et le mal"

Survoler les mots en bleu avec la souris
pour explications supplémentaires

Sa vie

Friedrich Nietzsche naît à Röchen, près de Leipzig en 1844, dans une famille de pasteurs protestants. Il étudie 1a philologie classique à l'université de Bonn, se montre très brillant et est nommé professeur de philologie grecque à l'Université de Bâle en 1869. Il est alors très marqué par la découverte de la philosophie de Schopenhauer et de la musique de Wagner. Il devient ami proche de ce dernier, avant de s'en séparer brutalement, notamment pour incompatibilité idéologique. Après deux premiers ouvrages polémiques, sa santé précaire ne lui permettant plus de travailler, il abandonne l'enseignement et commence une vie d'écrivain philosophe errant et solitaire à partir de 1879. Il séjourne principalement dans les Alpes et en Italie. Il connaît une relation tumultueuse avec l'écrivain Lou Andreas-Salomé. L'échec relatif de sa relation avec cette femme remarquable le marque profondément. Il poursuit son œuvre, malgré son caractère très maladif. Il finit par s'effondrer à Turin en janvier 1889, atteint d'une paralysie générale due à une probable syphilis. Recueilli par sa mère, il reste inconscient onze ans, jusqu'à sa mort en 1900. Sa sœur Elizabeth subtilisa le dossier médical de son frère, et surtout tenta de falsifier son œuvre pour la mettre au service du nazisme.

Son œuvre

La naissance de la tragédie" (1872), "Considérations intempestives" (1873-1876), "Humain, trop humain" (1878-1880), "Aurore" (1881), "Le gai savoir" (1882-1885), "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885), "Par-delà le bien et le mal"(1886), "La généalogie de la morale" (1887), "Crépuscule des idoles" (1888), "L'Antéchrist" (1888), "Nietzsche contre Wagner"(1888), "Le cas Wagner" (1888), "Ecce Homo" (1888).

Introduction à sa philosophie

1. Contre les idoles, la philosophie au marteau

Le "Crépuscule des idoles" est sous-titré "ou comment on philosophe au marteau". Dans la bible, une idole est un faux dieu inventé par l'homme, et qu'il adore parce qu'il représente en fait ses faiblesses et ses désirs. Il y a, selon Nietzsche, plus d'idoles que de réalités dans le monde et la philosophie classique en a été une grande fabricatrice : la vérité, le bien, le sujet pensant, etc. La lueur de ces faux dieux, pour tant est qu'il y en ait de vrais, finit cependant par s'estomper. C'est le crépuscule, il n'y a plus grand chose à y voir. Mais cette métaphore de la vision et de la lumière est justement l'un des mythes fondateurs de la philosophie classique. Nietzsche, qui a découvert la philosophie à travers Schopenhauer, pense comme lui qu'il y a plus à entendre qu'à voir. Parler de marteau contre les idoles peut laisser penser à une rage destructrice des fausses valeurs. Mais le "marteau" en question est aussi la sorte de petit maillet dont se servaient les médecins de l'époque pour ausculter leur patient. "Lui poser, comme ça, des questions avec mon marteau et entendre éventuellement en réponse ce fameux son creux (...)."

2. Dieu est mort
Un fou courrait sur la place publique avec sa lanterne allumée en plein jour en s'écriant face à l'incompréhension de la foule "Où est allé Dieu ? (...) Nous l'avons tué, vous et moi !". Et ce fou à la lanterne de préciser "La grandeur de cet acte est trop grande pour nous." Le déclin des idoles annonce inéluctablement le déclin de leur fondement dernier, l'idée même de l'existence d'un Dieu. Mais cette "mort de Dieu" est perte brutale de tous nos repères, de toutes nos valeurs, et condamne l'humanité à un bouleversement profond. Il n'est pas sûr que nous en comprenions tout de suite toute la portée, ni que cela nous met dans l'obligation de reprendre totalement la conception que nous avions de nous-mêmes. Ainsi en arriverons-nous à comprendre que l'homme, tel que nous l'entendons, est quelque chose qui doit être dépassé. D'où l'idée nietzschéenne, souvent mal comprise, de devoir aller vers le "surhomme".

3. La valeur d'un jugement n'est pas affaire de vérité
Le préjugé le plus basique de la philosophie est de croire que c'est en sa vérité que constitue la valeur d'un jugement, et que sa fausseté suffirait au contraire à le disqualifier. Il n'en est évidemment rien, un jugement vrai peut être nuisible à la vie, comme le sait d'ailleurs assez le sens commun. A l'inverse, un jugement faux peut être bienfaiteur. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une alternative, le meilleur peut aussi bien être l'incertitude, ou encore le refus de savoir, ou encore la simple ignorance qui ne se sait même pas telle. Par exemple, le seul problème avec l'idée de l'existence d'un Dieu, est de juger si c'est une bonne ou une mauvaise idée. Nietzsche pense que c'est une idée néfaste, très nuisible à la vie. Il n'y a pas non plus en soi de phénomènes moraux, juste une interprétation morale de certains phénomènes. Les jugements moraux ne sont d'ailleurs généralement que des interprétations fausses de certains phénomènes. Au fond, la question vraiment importante concernant la vérité, serait de s'interroger sur les motifs qu'il peut y avoir à vouloir l'obtenir coûte que coûte. "Qu'est-ce en nous qui veut trouver la « vérité » ? ". Nietzsche ouvre ainsi une question qui sera poursuivie par la philosophie du vingtième siècle, qu'en est-il au juste de cette "volonté du vrai" ?

4. Je, une illusion grammaticale ?
On ne songerait pas à tenir le raisonnement "il pleut, donc il existe", car le "il" de "il pleut" ne désigne rien de réel, il s'agit juste d'une exigence grammaticale dans certaines langues, dont le français (mais pas du latin). On peut alors légitimement s'interroger sur la validité du "je pense, donc je suis". Il pourrait tout aussi bien s'agir d'une illusion grammaticale due au fait que le verbe doit être précédé d'un sujet. Ce sujet grammatical désigne-t-il pour autant quelque chose de réellement existant ? D'autant que l'expérience de chacun est qu'il semble que ce soient les pensées qui viennent à nous, plutôt que ce soit "je" qui les produise. On peut très bien concevoir que "je" ne sois pas le véritable auteur de ce que je fais ou dis. Kant montrait déjà l'ambiguïté qu'il peut y avoir dans le "je veux", car je peux vouloir, sans avoir vraiment voulu vouloir, comme quand c'est manifestement un déterminisme ou du moins une force externe qui me force à vouloir, ce que l'on appelle hétéronomie de la volonté. Mais il faut aller plus loin : le fait que je ne sois pas nécessairement le sujet de cette pensée que je pense, ne justifie pas pour autant qu'il faille en trouver le "véritable" auteur. Il faut envisager éventuellement une pensée sans sujet. Peut-être peut-il y avoir de la pensée comme il y a de la pluie, sans que ce soit quelqu'un ni quelque chose qui pleuve. (Voir texte ci-dessous).

5. Il faut protéger les forts contre les faibles
L'épicurisme pose bien le problème du bonheur. Si l'exigence, au nom du plaisir, est de fuir toute peine, il faut s'en tenir à un minimum vital, celui de l'ataraxie. Car tout plaisir va amener inévitablement son lot de déplaisir. Aussi le véritable choix n'est pas entre bonheur ou malheur, mais entre grands malheurs et bonheurs indissociables d'un côté, et petits bonheurs et malheurs de l'autre. L'épicurisme fait le second choix, c'est, comme l'est le christianisme, une morale de faible. Par exemple, un grand amour fera beaucoup souffrir, une amourette amènera petites joies et petites peines.  Le vrai problème moral, individuel et non universel, est de savoir quelle quantité de souffrance un homme est prêt à affronter. Le petit choix est au fond un choix de mort, qui n'accepte pas la vie et lutte contre elle. On appellera fort celui qui est prêt à courir son risque, aussi douloureux soit-il. Lui seul connaîtra le bonheur intense. Mais les "faibles" pourront difficilement supporter que l'on mène une autre vie qu'eux-mêmes, car le 'fort" fait des vagues et est nécessairement dérangeant. La coalition des faibles fera donc tout son possible pour empêcher tout autre choix que le leur. Contrairement aux idées reçues, il faudra donc défendre les forts contre les faibles, et les gens heureux contre les malheureux (voir texte ci-dessous). Le sentiment dominant de la faiblesse est le ressentiment. Le ressentiment est foncièrement réactif, alors que la force est fondamentalement affirmation. Il est signe de faiblesse, de maladie, de refus du réel. " Le dépit, la susceptibilité maladive, l'impuissance à se venger, l'envie, la soif de la haine, sont là de terribles poisons (...)." La force morale est, quant à elle, pure affirmation, sans en "vouloir" à rien ni à quiconque.

Citations

1. " Qu'un jugement soit faux, ce n'est pas, à notre avis une objection contre ce jugement ; voilà peut-être l'une des affirmations les plus surprenantes de notre langage nouveau. Le tout est de savoir dans quelle mesure ce jugement est propre à promouvoir la vie, à l'entretenir, à conserver l'espèce voire à l'améliorer. Et nous sommes enclins par principe à affirmer que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori) sont pour nous les plus indispensables, que l'homme ne pourrait pas vivre sans admettre les fictions de la logique, sans ramener la réalité à la mesure du monde purement imaginaire de l'inconditionné et de l'identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant la notion de nombre - au point que renoncer aux jugements faux, ce serait renoncer à la vie, nier la vie. Admettre que le non vrai est la condition de la vie, certes c'est résister dangereusement au sentiment qu'on a habituellement des valeurs, et une philosophie qui se permet cette audace se place déjà, de ce fait, au delà du bien et du mal." (Par delà le bien et le mal, § 4)

2. " Ce qui me surprend le plus, quand j'embrasse du regard les grands destins de l'homme, c'est d'apercevoir toujours le contraire de ce que Darwin et son école voient ou veulent voir aujourd'hui : la sélection au profit des plus forts, des mieux partagés, le progrès de l'espèce. Le contraire est partout saisissable: l'annulation des coups de chance, l'inutilité des types supérieurs, l'inévitable domination des types moyens et même inférieurs à la moyenne. À supposer que l'on ne nous montre pas pour quelle raison l'homme est l'exception parmi les créatures, j'incline à présumer que l'école de Darwin s'est partout trompée. Cette volonté de puissance dans laquelle je reconnais la raison dernière et le caractère de toutes les modifications, nous fournit le moyen de comprendre pourquoi la sélection justement ne joue pas au profit des exceptions et des réussites heureuses : les plus forts et les plus heureux sont faibles dès qu'ils ont contre eux des instincts grégaires organisés, la pleutrerie des faibles, le trop grand nombre. Mon panorama du monde des valeurs montre que dans les valeurs supérieures qui régissent aujourd'hui les hommes, ce ne sont pas les réussites heureuses, les types sélectionnés qui prédominent; mais bien plutôt les types de décadence. Il n'y a peut-être rien de plus intéressant au monde que ce spectacle peu désiré.
Si étrange que cela semble, on a toujours à défendre les forts contre les faibles, les heureux contre les malchanceux; les bien-portants contre les dégénérés et les tarés. Si l'on veut tirer de la réalité une morale, il faut dire que les médiocres ont plus de valeur que les exceptions, les produits de
décadence plus de valeur que les médiocres ; la volonté d'anéantissement l'emporte sur la volonté de vivre, et la fin dernière, en termes chrétiens, bouddhistes ou schopenhaueriens, c'est : « Il vaut mieux ne pas être qu'être ». " (La volonté de puissance, Fragments posthumes)

3. "Si l'on parle de la superstition des logiciens, je ne me lasserai jamais de souligner un petit fait très bref que les gens atteints de cette superstition n'aiment guère avouer; c'est à savoir qu'une pensée vient quand « elle » veut et non quand « je » veux, en telle sorte que c'est falsifier les faits que de dire que le sujet « je » est la détermination du verbe « pense ». Quelque chose pense, mais que ce soit justement ce vieil et illustre « je », ce n'est là, pour le dire en termes modérés, qu'une hypothèse, une allégation; surtout ce n'est pas une « certitude immédiate ». Enfin c'est déjà trop dire que d'affirmer que quelque chose pense, ce « quelque chose » contient déjà une interprétation du processus lui-même. On raisonne selon la routine grammaticale : « Penser est une action, toute action suppose un sujet actif, donc...» C'est par un raisonnement analogue que l'atomisme ancien plaçait à l'origine de la « force agissante » la parcelle de matière où réside cette force et à partir de laquelle elle agit, l'atome; des esprits plus rigoureux ont fini par apprendre à se passer de ce dernier « résidu terrestre », et peut-être arrivera-t-on un jour, même chez les logiciens, à se passer de ce petit «quelque chose», résidu qu'a laissé en s'évaporant le brave vieux «moi». " (Par-delà le bien et le mal).

Pour changer de registre

Par l'auteur de cette page, quelques textes un peu moins éducatifs, et qui néanmoins valent le détour : les recueils de nouvelles.


Écrire à l'auteur

màj 220703

Retour
à la page d'accueil

nicoladec.fr

1530044 / 1699